Perspectives économiques du Canada en 2024 : Se plier à la réalité

La dernière année a été difficile pour les économies américaine et canadienne. À la même époque l’an dernier, nombreux étaient ceux qui prévoyaient au moins une légère récession en Amérique du Nord en 2023. La bonne nouvelle est que nous avons réussi à éviter ce scénario jusqu’à présent.
Mais si les économies américaine et mondiale ont dépassé les attentes, l’économie canadienne a eu de la difficulté à croître, et il semble que ce sera encore le cas pendant la plus grande partie de 2024. Plusieurs raisons expliquent cette situation. Examinons comment nous en sommes arrivés là et les facteurs qui continueront de stimuler l’économie canadienne au cours des 12 prochains mois.
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Économies mondiale et américaine
BMO prévoit que l’économie mondiale connaîtra une croissance d’un peu moins de 3 % cette année, ce qui est légèrement inférieur à la moyenne. Le facteur important ici est que toutes les grandes économies ont enregistré au moins une certaine croissance cette année, ce qui n’était pas gagné au début de 2023. Nous nous attendions auparavant à ce que la Grande-Bretagne, l’Europe et la Russie connaissent un léger repli cette année. Au lieu de cela, ils ont tous réussi à enregistrer une certaine croissance. Même si nous anticipons un ralentissement de l’économie mondiale en 2024, ce ralentissement est loin de ce que nous considérons comme une récession généralisée.
L’année a également été étonnamment bonne pour l’économie américaine, avec une croissance d’un peu plus de 2 % pour l’ensemble de l’année1, ce qui est meilleur qu’en 2022. J’ose dire qu’aucun prévisionniste ne s’attendait à ce que l’économie américaine connaisse une meilleure croissance cette année que l’année dernière. Cependant, nous prévoyons un ralentissement, à partir du trimestre en cours, et nous envisageons une croissance assez modérée d’environ 1 % au cours de la prochaine année.
Bon nombre des facteurs favorables derrière l’économie américaine ont maintenant commencé à s’atténuer. En plus de la forte hausse des taux d’intérêt à long terme, le conflit au Moyen-Orient et la grève des Travailleurs unis de l’automobile pèseront probablement sur la croissance aux États-Unis pendant la prochaine année. Néanmoins, nous ne prévoyons pas de trimestre de croissance négative du PIB aux États-Unis au cours de cette période.
Une situation plus difficile pour le Canada
Au Canada, en revanche, la situation a été plus difficile. Bien que l’économie ait réussi à éviter une récession, elle affiche une croissance très modérée qui, selon nous, se poursuivra probablement avant de connaître une certaine amélioration d’ici la fin de 2024. En somme, BMO s’attend à ce que l’économie canadienne soit à la traîne de celle des États-Unis au cours des 18 prochains mois.
Le consommateur en est la principale raison. Dans l’ensemble, les dépenses de consommation se sont remarquablement bien comportées cette année au Canada et aux États-Unis face à l’inflation et à la hausse des taux d’intérêt. Cela s’explique en partie par le fait que les consommateurs disposaient de beaucoup d’économies accumulées pendant la pandémie. Au début de cette dernière, le taux d’épargne des deux pays a atteint des niveaux extraordinaires.
Un autre facteur positif pour le consommateur des deux côtés de la frontière est la vigueur sous-jacente du marché de l’emploi. À l’été 2022, le marché de l’emploi en Amérique du Nord a été le plus sain et le plus serré que nous ayons jamais connu en temps de paix. Le taux de chômage au Canada a chuté sous la barre des 5 %2, tandis que celui des États-Unis est descendu dans la fourchette des 3 %3. Depuis lors, nous avons observé un certain affaiblissement et les taux de chômage ont commencé à remonter légèrement. Toutefois, d’un point de vue historique, les taux de chômage sont encore assez bas.
Les taux d’emploi et d’épargne étant élevés, les consommateurs ont pu dépenser pour répondre à la demande refoulée de voyages, de divertissements et de véhicules automobiles. Les deux pays n’ont toutefois pas dépensé à parts égales. Encore aujourd’hui, le taux d’épargne des ménages canadiens est supérieur à 5 %4. Même s’il s’agit d’un taux moyen sur le plan historique, il est plus élevé qu’avant la pandémie et que le taux d’épargne actuel aux États-Unis5. Le niveau record d’endettement des ménages canadiens diffère de celui des États-Unis. En outre, une grande partie de l’endettement des ménages aux États-Unis se retrouve dans des prêts hypothécaires sur 30 ans, ce qui fait qu’il ne change pas aussi rapidement qu’au Canada.
BMO est d’avis qu’au cours de la prochaine année, certains des facteurs de soutien des consommateurs canadiens (demande refoulée et épargne excédentaire) commenceront à s’estomper. Entre-temps, l’endettement élevé des ménages et la hausse des taux d’intérêt demeurent présents. Au cours de la prochaine année, les consommateurs canadiens seront probablement encore plus serrés, et c’est pourquoi nous anticipons que l’économie aura de la difficulté à croître au cours des 12 prochains mois environ.
Perspectives en matière de taux d’intérêt
L’inflation a baissé par rapport à ses pires niveaux à l’été 2022, un taux que nous n’avions pas observé depuis le début des années 1980, et sans ralentissement significatif de l’économie. En revanche, il sera plus difficile de ramener l’inflation de son taux actuel d’un peu moins de 4 %6 à celui que les banques centrales canadienne et américaine préféreraient, soit plus près de 2 %. BMO estime que l’inflation ne baissera pas à un niveau acceptable avant la fin de 2024.
Un enjeu encore plus important est la hausse constante des taux d’intérêt à long terme à l’échelle mondiale. Les taux de rendement des obligations du Trésor américain à 10 ans7 et des obligations du gouvernement du Canada à 10 ans8 ont atteint des niveaux inégalés depuis 2007, ce qui menace à la fois les finances publiques et les perspectives à court terme. Autrement dit, en ce qui concerne les taux d’intérêt, on s’attend à ce qu’ils restent plus élevés plus longtemps.
À notre avis, les deux banques centrales en ont assez fait sur le plan des hausses de taux d’intérêt. Elles pourraient relever les taux une fois de plus, mais nous sommes presque arrivés au sommet de la montagne. L’envers de la médaille est que nous serons dans un environnement de taux plus élevés pendant un certain temps, jusqu’à ce que les banques centrales se sentent suffisamment à l’aise avec l’inflation. Nous nous attendons à ce que la Banque du Canada et la Réserve fédérale américaine maintiennent les taux d’intérêt près de leurs niveaux actuels jusqu’au deuxième semestre de 2024. Même après cela, nous prévoyons que les taux d’intérêt descendent très lentement plutôt que de chuter.
La question la plus intéressante est de savoir où les taux d’intérêt vont se stabiliser de l’autre côté. Reviendront-ils aux taux extrêmement bas que nous avons connus pendant la décennie précédant la pandémie? Ou vont-ils se stabiliser près des niveaux actuels? Probablement entre les deux.
Le taux du financement à un jour de la Banque du Canada se situe actuellement à 5 %9. BMO s’attend à ce que ces taux finissent par s’établir dans une fourchette d’environ 2,5 % à 3 %. C’est plus haut que tout ce que nous avons vu pendant la décennie qui a précédé la pandémie, mais c’est beaucoup moins que ce que nous vivons aujourd’hui. Néanmoins, l’inflation devra se rapprocher de la cible de la Banque du Canada avant que nous puissions parler de façon réaliste de baisses de taux d’intérêt.
Variation des probabilités
BMO a légèrement ajusté ses probabilités concernant les trois grands scénarios pour l’économie canadienne : un atterrissage en douceur où nous évitons tout repli, un juste milieu où nous observons un léger recul de l’économie et un atterrissage brutal où nous entrons en récession généralisée. C’est le juste milieu qui est devenu un peu moins probable. Les taux d’intérêt à long terme ont monté en flèche et les risques géopolitiques se sont accrus. Ces facteurs, malheureusement, augmentent le risque d’un atterrissage brutal. La bonne nouvelle, c’est que l’inflation ayant considérablement diminué, la probabilité d’un atterrissage en douceur augmente également.
1 Gross Domestic Product, bea.gov
2 Canada Unemployment Rate, YCHARTS
3 US Unemployment Rate, YCHARTS
4 Canada Household Saving Rate, Trading Economics
5 Personal Saving Rate, bea.gov
6 Canada’s inflation rate slows to 3.8%, cbc.ca
7 10-year Treasury yield breaks above 4.9% for the first time since 2007, cnbc
8 Rendements des obligations, Banque du Canada
9 Sommaire quotidien, Banque du Canada

Douglas Porter, CFA
Économiste en chef